Jugé indispensable par les Grecs, puis par les Romains, remis en avant par Michel Foucault et la notion de " souci de soi ", l'otium, ce temps nécessaire à la réflexion sur le monde et sur soi si nécessaire en ces périodes de grande confusion, paraît plus actuel que jamais.
Aujourd'hui, tout s'accélère et nous agrippe dans un rythme devenu fou. Le temps de la réflexion est le grand sacrifié de ce nouveau chaos. Jugé avec les critères de la productivité, il passe pour un luxe inutile. Nous le vaporisons donc allègrement dans les interminables séances de scrolling qui vampirisent nos loisirs. Addicts au shoot émotionnel des écrans, nous dépensons désormais sans compter notre temps de cerveau disponible.
Comment nous désintoxiquer de ce nouvel opium ? Comment refaire du temps libre un havre où, à nouveau, réfléchir, imaginer, contempler, comprendre ? Décisives pour notre autonomie, ces facultés ne doivent plus être la part superflue de l'existence. Loin d'être réduit, comme souvent, à l'oisiveté, le loisir pourrait ainsi se refonder sur l'otium – le " loisir fécond " que la pensée antique hissait au sommet des activités humaines. Prodigieux espace d'invention existentielle, ce temps libéré des urgences et des calculs, permettait à ses bénéficiaires la quête du for intérieur, de la sagesse, du bien commun.
Le moment semble venu de nous réapproprier cet usage émancipateur et responsable du temps libre. Révélant sa profonde actualité, Bourdieu considérait le loisir fécond comme une possibilité anthropologique universelle et, Foucault, comme l'outil d'un souci de soi soucieux d'autrui. Longtemps réservé à quelques-uns, l'otium pourrait bien être le mot capable de traduire ce désir éperdu de durée et de profondeur qui saisit parfois nos errances digitales. Après des siècles d'oubli, il pourrait enfin devenir l'otium de tous, l'otium du peuple.